Chez joca seria
« Le rayon bas et chaussettes chez Decré est au rez-de-chaussée, la vendeuse ouvre les pochettes et glisse une partie du bas sur le dos de sa main pour montrer la texture et la couleur, je n’ai pas le droit de le faire, je pourrais les effiler avec mes ongles mal limés. On monte pour le plaisir de faire de l’escalier roulant, faire un tour aux jouets et au blanc. L’été, on va sur la terrasse et là c’est comme dans un film : les tables, les parasols, la ville en dessous. […] Les gars des chantiers sont un peu à part, parce qu’ils construisent d’immenses bateaux sur les cales, ça fait des étincelles et beaucoup de bruit, le jour d’un lancement, toute la ville est là pour admirer leur travail, mon père quitte son travail avant l’heure, c’est impossible de rater ça. On se répartit en face sur le quai ou le long de la rampe de l’Ermitage. Au moment du lancement, tous les bateaux cornent et tous les Nantais pleurent tellement c’est incroyable le travail qu’ils arrivent à faire. Petit à petit, j’apprends que les chantiers sont menacés et ça chauffe à cause de ça, si ça ferme, ils n’auront plus de travail et Nantes ne sera plus un port. Il y a des manifestations en ville et les gendarmes peuvent tirer comme si les ouvriers étaient devenus des ennemis, je sais qu’une fois un homme a été tué. »
Nous sommes à Nantes dans les années 1950. La guerre est encore toute proche dans les mémoires et les paysages. Dans cette reconstruction une petite fille se raconte : ses parents, ses voisins, l’église, son quartier, le centre-ville, les vacances dans le Finistère… Tout ce qui constitue la vie simple d’une enfant curieuse. Le texte est écrit d’un seul bloc, d’un seul souffle comme si des milliers de souvenirs se bousculaient pour trouver leur place. Élisabeth Pasquier parvient a restituer avec brio cette forme de naïveté intelligente propre à l’enfance dans un récit d’une profonde humanité.
Soit la ligne de TER Nantes-Pornic et ses dix gares entre la métropole nantaise et l’Océan Atlantique via le Pays de Retz. Soit une passagère, sociologue de son état, qui prend le train dans le but de décrire sur le vif des paysages et des situations dans le cadre d’une recherche en sciences humaines sur le périurbain. Au fil des arpentages dans le train, dans les gares et l’épaisseur de la ligne, des énigmes et des repères se construisent, des habitants se racontent. À l’arrivée, un journal ambulatoire et des nouvelles, à la fois récits d’expériences, portrait de territoire, voyage entre les mots et les choses dans les méandres du langage, de la mémoire et de la fabrique de l’écriture.
978-2-84809-315-4
15 x20 cm
44 pages
9 €
« C’est ce qu’il nous avait dit : “Je ne veux pas traîner là. Quand je serai mort, je ne veux pas traîner”. Mon père est mort chez lui, vers midi. Il a passé la première nuit chez lui, deux en chambres froides, à Nantes, à Paris, la quatrième à l’hôpital de Médéa, Algérie. Quatre nuits avant d’être enterré. Je pense que dans son imaginaire ç’aurait pu être plus rapide. » La recherche à l’origine de la pièce concerne le rapatriement des corps des migrants vivant en France dans leur pays d’origine pour y être inhumés. Anne Bossé, géographe, Élisabeth Pasquier, sociologue, ont mené une enquête par entretiens auprès de fils et filles de migrants, de professionnels du funéraire et du fret aérien, de médecins et de fonctionnaires municipaux.